- Jeanne était au pain sec
— Vic­tor Hugo
— 1877
— Vian­den, Guer­ne­sey, Paris

Jeanne était au pain sec dans le cab­i­net noir,
Pour un crime quel­conque, et, man­quant au devoir,
J’al­lai voir la pro­scrite en pleine for­fai­ture,
Et lui glis­sai dans l’om­bre un pot de con­fi­ture
Con­traire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix douce :
Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus grif­fer par le minet.
Mais on s’est récrié : — Cette enfant vous con­naît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit tou­jours rire quand on se fâche.
Pas de gou­verne­ment pos­si­ble. À chaque instant
L’or­dre est trou­blé par vous ; le pou­voir se détend ;
Plus de règle. L’en­fant n’a plus rien qui l’ar­rête.
Vous démolis­sez tout. — Et j’ai bais­sé la tête,
Et j’ai dit : — Je n’ai rien à répon­dre à cela,
J’ai tort. Oui, c’est avec ces indul­gences-là
Qu’on a tou­jours con­duit les peu­ples à leur perte.
Qu’on me mette au pain sec. — Vous le méritez, certe,
On vous y met­tra. — Jeanne alors, dans son coin noir,
M’a dit tout bas, lev­ant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l’au­torité des douces créa­tures :
Eh bien, moi, je t’i­rai porter des con­fi­tures.

— Vic­tor Hugo, « Jeanne était au pain sec »

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